En mémoire de youki

Youki, il y a 45 ans, ta route croisait la mienne, quelque part, en Asie, où j’arrivais à dix ans, avec mes parents pour un séjour de deux années, dans un lotissement qui regroupait des français venus travailler dans ce pays. Chien errant, personne ne connaissait vraiment ton histoire. Les gens disaient « attention à ce chien, il est dangereux, et la fourrière n’a pas encore pu le capturer ». Mon père a décidé de t’apprivoiser, en t’amenant un repas, jour après jour. Du grognement qui se voulait impressionnant la première fois, et devant lequel mon père s’éloigna après avoir posé ton plat au sol, tu t’es fait moins féroce, toujours méfiant mais tu es revenu vers l’offrande renouvelée le lendemain, acceptant que mon père reste un peu plus loin. Chaque jour qui suivit, fût une victoire sur nos volontés réciproques de nous faire confiance. Chaque jour, mon père réduisait la distance qui vous séparait. Un jour tu as accepté de manger à ses pieds. Et tu as levé sur lui des yeux plein de reconnaissance. Et il t’a parlé, t’expliquant qu’il allait te mettre une laisse autour du cou pour t’emmener chez nous, où tu n’aurais plus faim, ni chaud, ni froid, en qu’en plus tu aurais des caresses tous les jours. Il a du te convaincre car tu as accepté la laisse et tu l’as suivi quand il t’a dit « viens. » Deux années de bonheur intense. Mais notre séjour toucha à sa fin. En France nous n’avions pas de logement, et étions hébergés pour un temps incertain. Mon père imagina toutes les possibilités pour essayer de te ramener avec nous. Mais il n’a pas trouvé de solution. A contre cœur, il a chargé une personne de confiance, de te nourrir et de demander au prochain occupant de la maison de bien vouloir te garder, laissant un long message à ce futur maitre, afin de le sensibiliser sur ta gentillesse, et sur tes habitudes. Le jour du départ, mon père t’a expliqué ce qui allait se passer, et que tu allais avoir un nouveau maitre qui s’occuperait bien de toi. Comme d’habitude quand il te parlait, tu le regardais dans les yeux, plein de confiance. Nous sommes partis. Mon cœur d’enfant de douze ans saignait de cette séparation, celui de mon père aussi. Le temps a passé. Lorsque j’ai atteint l’âge de 18 ans, un jour mon père m’a parlé de toi. Dès les premiers mois de notre retour, Il avait pris des nouvelles auprès d’un ami qui lui a fait ce récit. Quand le nouveau locataire des lieux t’a vu, prêt à lui témoigner le même attachement qu’à ton ancien maître, et malgré la lecture du message de mon père, il n’a manifesté aucune émotion. Il a chargé une arme en sa possession, et il t’a tiré une balle dans la tête. C’était l’année même de notre départ, en 1970. Je n’ai toujours pas pardonné à ton assassin. Mais sache mon Youki, que ton souvenir est à jamais logé au fond de moi et que je t’aime pour l’éternité

Laurence